[Libre] Un instant de tranquilité

Gabriel n’avait aucune envie de retourner dans sa chambre. Pas après ce premier entrainement d’obstacle si bien réussit malgré son inexpérience. Bon d’accord, Gym avait tout fais, mais shutttt^^. Il récupéra donc Dubay, chez le vieil homme qui gardait les chevaux et s’occupait des écuries. Manifestement, la petite chienne s’était très vite attachée à son maitre puisqu’en le voyant arriver, elle s’élança vers lui en jappant de bonheur. Il la réceptionna dans ses bras et remercia son ‘chiotsiter’ d’un petit sourire avant de sortir.

D’accord, le beau brun ne voulait pas rentrer, mais que faire ? En passant devant la grange, un sourire naquit sur ses lèvres. Pourquoi pas une confortable pose dans la chaleur d’un siège de paille ? Et puis, ne dit-on pas que certains cadeaux plaisants se cachent dans cet univers d’or et jaune ? Lui, il y croyait puisque sa première fois avait eu lieu dans le fenil de son lointain centre équestre Vermontois. Il poussa la porte suivit rapidement par le chiot qui semblait ne plus vouloir le lâcher. Sa tête emplie de souvenir retrouva chaque chose à une place différente et pourtant si semblable. De pas oscillant, il se dirigea vers le fond du bâtiment en tôle métallique et s’assit derrière les sacs de grain, sur son gros pull polaire. Vissant ses écouteurs sur ses oreilles, il accueillit Dubay qui s’étendit de tout son long sur ses genoux.

Il commença à la caresser, perdu dans ses pensées, bercé par la musique lente à ses oreilles. Aucun doute que les paroles mélancoliques et douces de Ben Jelen furent la cause de son assoupissement. Dans ses rêves, tout était différent, toutes ses erreurs effacées, toutes ses peines, ses souffrances hurlaient de douleur en s’effaçant de sa vie. La seul chose qui restait, comme immuable dans son esprit, c’était son entrée dans cette académie. Ses yeux clos clignotèrent lorsque les rythmes doux laissèrent la place à du punk-rock. Il posa un regard endormis autour de lui et attendrit gratouilla la tête du petit chiot plongé dans un sommeil beaucoup plus profond que lui. Ses petites pattes courraient dans le vide, comme si elle rêvait à une folle course poursuite. Prenant soin de rester immobile pour ne pas la réveiller, il fouilla pour trouver trois cordes à foins et se mit à les tresser. Sa respiration était si silencieuse que personne ne pouvait remarquer sa présence. Quelques fois, il entendit, derrière la musique qui retentissait en sourdine, la porte s’ouvrir, se fermer, les marches de l’échelle menant à la mezzanine grincer… A chaque mouvement, il pensait au ridicule de la situation. Que faisait-il là, les fesses sur le sol poussiéreux couvert brin de paille, un chien sur les genoux, caché comme un fugitif traqué ? Bonne question… Il était simplement là à cette place que le destin lui avait attribuée à cet instant même. Son ipod s’arrêta soudain : * Batterie faible *. Ouai, et bin si t’es juste faible, tu dois marcher encore un peu ! pensa-t-il. Le canadien réessaya l’allumage sans réussite. Un peu énervé, il se leva en prenant soin de déposé la chienne endormie sur son polaire, c’est alors qu’il entendit une voix qui chantonnait, juste au-dessus de lui. Tant qu’à être ici sans musique, autant faire une rencontre qui peut vous en produire. Il monta les échelons avec agilité, se rapprochant de la mélopée féminine. Couché dans la paille, une demoiselle brune tourna la tête pour le regarder, alertée par le crissement des restes de ballots.

– Salut ! Qu’est-ce que tu fais la toute seule ? Chagrin ou besoin de solitude ?

Certain de s’approcher de la réalité, il sourit amicalement à la brunette.

A son approche, la jeune fille brune se releva, les cheveux pleins de brin de pailles. Elle était plutôt jolie et avait un regard envoutant. Comme il l’avait entendue chanter, il savait qu’elle avait une belle voix, mélodieuse et enjôleuse. Elle avait tout pour plaire, et pourtant, elle était seule dans cette grange. Il passa une main dans ses cheveux et sourit amicalement. Pas la peine de faire comme s’il l’avait découverte là par hasard.

- On peut dire que ça peut être les deux… Mais, si tu veux t’installer, il n’y a aucun soucis
Je veux bien, oui. Je suis monté en entendant ta voix fredonné des paroles plutôt significatives… Je suis le renfort !

Il s’assit près d’elle et posa un regard noisette profond sur la demoiselle. Ces temps-ci, le canadien pouvait très bien passer pour le pire des salauds et étrangement, cette étiquette ne le gênait pas ou plutôt avait cessé de le déranger. Ses pensées étaient constamment occupées par l’envie de plaire et d’être simplement désiré. Il n’était pas un briseur de cœur, mais son comportement avait bel et bien changé. Il n’était plus un cœur à prendre mais un cœur à captiver. L’obtenir serait facile. Le garder pourrait poser beaucoup plus de problème. Il détailla la jeune fille, l’englobant d’un seul regard transperçant. Sa silhouette fine moulée dans une tunique noire et un jeans serrant, son petit sourire, alors qu’elle commençait à retirer un à un les brins de ses cheveux bruns, tout en elle était gracieux et léger. Il déglutit et tenta de se reprendre. Il n’était pas ici pour sauter sur tout ce qui bouge. D’ailleurs, loin de lui s’enfuit cette pensée. La demoiselle avait besoin d’une oreille attentive, peut-être d’une épaule accueillante pour recueillir ses larmes. Qu’en savait-il ?

Il se recula un peu sur le matelas d’or et se coucha les bras croisés derrière la tête. Il se mordilla la lèvre inférieure et projeta à nouveau un regard amical vers la brunette. [carrément irrésistible, le mec^^] Il poussa un soupir et lui dit simplement.

- Je m’appelle Gabriel. Je suis élève ici. Je sais que ça peut te paraitre bizarre mais on a souvent plus de facilité à s’ouvrir à un inconnu qu’à notre meilleur ami. Si tu veux, je peux être cet inconnu ou seulement un voisin silencieux…

Il lui fit un clin d’œil et regarda autour de lui. Qu’elle prenne le temps pour répondre ! Il n’était pas presser. Dubay dormait à poings fermés en bas et s’il tendait l’oreille, il pouvait entendre son faible ronflement régulier. Trop mignon^^ Il reporta son attention sur la jeune fille assise à ses côtés. Aucun doute que sa réponse déterminerait son attitude. Peut-être même que effrayée par ses regards un peu étranges d’il y a une ou deux minute, elle lui demanderait de partir, il le ferait. Aujourd’hui, il n’avait pas à cœur de faire face et de contrarié les volontés des autres, il voulait juste se faire plaisir en étant sympa et discret. Ses pensées s’orientèrent vers la brune, prête à lui répondre.

Comme la belle demoiselle semblait accepter sa présence, il poussa un soupir de soulagement. Rassuré de voir, qu’il masquait assez bien ses pensées plutôt… Déplacées. Il s’installa plus confortablement et sourit lorsqu’elle se présenta. Lydie, tout comme lui élève semblait presque aussi amochée par la vie que lui. Elle parut d’abord hésiter, plongée dans ses pensées. Il pouvait très bien comprendre que se confier à un inconnu, surtout quand il surgit de nulle part et vous dit direct qu’il a remarqué que vous avez des problèmes… (Un peu louche, tout ça…^^)n'était pas facile.

Bref, Gab s’appuya sur son coude alors qu’elle décidait enfin de se lancer. Ces paroles étaient touchantes et étrangement, à l’image de sa propre histoire. Il fut rassuré de voir qu’il n’était pas le seul à être dégouté par l’amour, ce sentiment si perfide qui dés qu’on le croit acquis nous glisse entre les doigts pour aller rendre heureux un autre que nous-mêmes pour ensuite abandonner ce pauvre crédule à sa tristesse. Seul et désemparé. Dans ces cas-là, il y avait plusieurs solutions, chacun réagissait à sa façon. Lui, par exemple, avait décidé de se protéger d’une nouvelle rencontre avec cet ami perfide et violent, en l’évitant. Sa technique était simple : dorénavant, il n’aimerait plus, il désirerait. Il ne pleurait plus pour le cœur des autres mais pour leur corps. Peut-être est-il devenu le pire des briseurs de vie, comme le maitre amour voulait. Car ce sentiment, en plus de vous faire du mal, vous pousse à rendre les autres aussi malheureux que vous, si pas plus. Là encore, le canadien s’était abrité derrière une parade honnête, cette fois. Ne prendre pour cible que des personnes consentantes. Jamais il ne lui viendrait à l’idée de coucher avec une fille pour ensuite l’abandonner. Avec lui, les choses étaient claires. Pas de place pour l’émotion, son cœur commençait déjà à devenir pierre, même si sa générosité ne faisait qu’amplifier. Trop de douleur rend l’âme aussi hermétique que le cœur et pourtant Gabriel restait à l’écoute, compatissant et amical, malgré les coups durs de la vie.

- Je ne veux pas être défaitiste mais le bonheur n’existe que dans les contes dont tu parles. Il n’y a rien d’autre que la vie et crois-moi, la vie c’est souffrir. La seule chose que tu peux faire pour ne pas abandonner, c’est continuer ta route en méprisant les nuages, en riant au nez des tempêtes et en accueillant à bras ouverts les rares éclaircies, parce que enfin de compte, ce sont elles que tu oublieras vite, en ne gardant que tes yeux pour pleurer et ta solitude pour t’accompagner. Profite des moments heureux, ils ne durent qu’un temps mais la vie est trop courtes pour s’attarder sur le reste, alors court dans la tourmente et marche à reculons dans le soleil…
- désolée, je… je veux pas t’embêter avec tout ça…
- Tu ne me dérange pas du tout. Le seul risque que tu prends à m’écouter, c’est d’en sortir encore plus malheureuse et dégoutée ou alors avec le peu d’estime qui me reste pour mon existence, c'est-à-dire rien…

Gab se plongea dans les yeux bleus-verts de la jolie jeune fille et voyant toute la tristesse et la peine qui s’y bousculait, il ne put s’empêcher de la prendre dans ses bras et de lui murmurer à l’oreille que la meilleur guérison était les larmes. Son étreinte était à la fois ferme et légère, si la brunette voulait s’en libérer, rien ne l’en empêcherait.

Qu’avait-il bien pu lui arriver ? La question brûlait la langue du canadien et pourtant il ne voulait pas, ne pouvait pas lui demander. Il s’était promis de n’être qu’une présence rassurante, pas un inquisiteur. Pas question de la brusquer par des questions déplacées, de toute façon, si la jeune fille voulait lui raconter quoi que ce soit, elle le ferait. Il sentait qu’elle se demandait si elle pouvait lui faire confiance. Elle était distante et pourtant leurs deux esprits étaient proches, leurs pensées s’entre mêlaient. La blessure de la jolie brune semblait profonde pour ne pas dire insurmontable, le beau brun le lisait dans son regard vert-bleu, si particulier. Il ne put s’empêcher de sourire lorsqu’elle se mit à le rassurer, les rôles étaient inversés. Au tour de Gabriel d’entendre qu’il était une présence agréable et rassurante. Ce qu’il voulait être, ce dont il avait besoin pour enfin cesser de s’arrêter sur ses propres problèmes. Certains pensent que lorsqu’on a une vie compliquée, ce n’est pas la peine d’aller voir les soucis d’autrui. Gab lui était convaincu du contraire, le simple fait de voir des gens plus malheureux que soit, ça vous fait réaliser à quel point vos ennuis sont dérisoires. Ceux du brun étaient importants, sa vie entière était régie par la souffrance et la peine, mais il fallait qu’il passe à autre chose malgré la cicatrice qui étranglait son cœur.

Lorsqu’il prit la demoiselle dans ses bras, il croyait qu’elle allait le repousser gentiment, malgré ses paroles réconfortantes. Qui peut se sentir tout à fait à l’aise dans les bras d’un inconnu ? Il l’étreignit donc en douceur, lui permettant une retraite, qu’elle n’enclencha pas, à la grande surprise du canadien. Elle se tenait dans ses bras, comme si elle se trouvait toujours à quelques mètres de lui, droite et magnifique, telle qu’il l’avait rencontrée. Mais, après un moment, durant lequel elle ne repoussa pas ses bras, elle s’abandonna complètement. Le jeune homme pouvait sentir qu’elle pleurait à ses tressaillements, ensuite, il sentit les larmes couler dans son cou. Il la serra un peu plus fort contre lui, sentant son souffle sur sa joue. Ses cheveux sentaient bon, le temps aurait pu s’arrêter, aucun des deux ne s’en serrait rendu compte. Il soupira, s’écartant un peu d’elle, et prit la tête de la brunette entre ses mains. Du pouce, il essuya l’eau salée qui coulait lentement et lui caressa la joue. Son regard noisette se plongea dans celui de la belle, cherchant à la rassurer autant par ses mots que par ses actes.

- Ne pleure pas… Ce n’est rien… Quoi qu’il se soit passé dans ta vie, n’oublie jamais que les choses s’arrangent toujours, ne serait-ce qu’une heure, une journée, un mois… Mais surtout, tout le monde à le droit au bonheur et je crois que ce sera bientôt ton tour…

Il la remmena contre lui, tentant d’être rassurant. Il s’assit sur la botte de paille, le gardant contre lui puis il relâcha légèrement son étreinte. Il lui caressa la joue encore une fois, se demandant si elle allait chercher à échapper à ses bras.

Alors qu’il la prenait dans ces bras, Gabriel ne ressentait qu’un gigantesque vide, ou plutôt un immense trop plein d’émotion. En soulageant la jeune fille aux yeux verts, le canadien ne s’attendait pas à rouvrir une blessure qu’il s’était juré de refermer à clé. Dans ses yeux passèrent les flashs de l’accident.

La voiture retournée sur le bord de la route pendant plus d’une semaine sur laquelle il ne pouvait s’empêcher de poser les yeux lorsque lui et sa mère se rendait à l’hôpital. Cet affreux remord qui le rongeait de l’intérieur. Il se souvenait très bien. Ce soir-là, l’enfant avait téléphoné au père, l’insouciance d’alors débordait du petit garçon qu’il était. Et pourtant, il se rappelait de ses paroles mots pour mots : « Papa reviens très vite ! » Il ne savait pas, il n’était qu’un gosse… Mais, le bon père avait obéi à son désir de l’écouter, de retrouver sa famille pour Noël et l’anniversaire de son fils. Il n’y eut pas de fête ce soir là, pas de rire au petit matin, juste des larmes. Fracture multiple de la colonne, le petit brun ne comprenait pas, personne ne se souciait de lui expliquer. Sa mère l’oubliait, s’enfermant dans sa peine, n’en sortant que pour lui crier que c’était sa faute. Augmentant la tristesse du petit garçon perdu. Deux semaines plus tard, monsieur James sortait du coma, du moins, c’est ce que dirent les médecins. Aucun d’eux ne pouvait savoir que la torpeur s’étendrait, atteignant la mère, ne quittant plus le père, ruinant la vie du fils. Presque tous les mois, la famille rejoignait les couloirs immaculés des cliniques. Un homme alcoolique, une femme droguée, un enfant brisé… Sans repère, la bouteille de son père devint sa meilleure amie, les antis dépresseurs de sa mère, sa seule famille, les erreurs de jeunesses, les seuls moyens d’exister…

Gab serra la demoiselle brune plus fort dans ses bras, le réconfort peut être réciproque et dans ce cas, il ne doutait pas de soulager leurs blessures, quelques qu’elles soient.

- Alors t’en fais pas… Ca viendra aussi pour toi…

Le jeune homme sourit, il ne voulait plus ce bonheur. IL y avait eu droit, il y a longtemps, mais aujourd’hui, la chute l’avait brisé, rendant le malheur trop fort. Mais les souffrances qui durent, se tamisent et finissent par n’être plus qu’un poids, parfois un simple souvenir. Le beau brun ne voulait plus être heureux pour ne plus souffrir lorsque son monde s’écroulerait à nouveau. Le canadien se protégeait mais en même temps s’interdisait de redécouvrir, ce sentiment trop lourd à porter, une fois qu’il disparait.

- J’ai eu mon tour, il y a un certain temps… Je laisse la place…

Ces mots chuchotés, étaient durs et pourtant si réels. C’était ce qu’il faisait… Regarder l’autre goûté à l’ivresse qu’il n’osait approcher de peur de rechuter. L’image lui arracha un autre sourire. Belle comparaison entre son alcoolisme et sa vie. Il s’était caché trop longtemps dans un puits noir et le jour où la lumière était réapparue, ça avait été encore plus dur de regarder la réalité en face…

- Ne cherche jamais à fuir tes problèmes… Ils te rattraperont toujours. Vis avec eux et quand ce sera le bon moment, ils s’en iront doucement, sans que tu le réalise vraiment. Un jour, tu te retournera et ils auront disparu tout en restant gravés dans ta mémoire…

Il lui sourit, ses yeux noisettes étaient obscurcit par la peine, mais brillants d’un sentiment indescriptible. L’acceptation de son sort l’avait touché il y a bien longtemps et resurgissait dés qu’il en avait besoin…

Son regard… Ses yeux bleus-verts… Le canadien fut saisit d’y lire tant de choses, comme dans un livre ouvert sur les pensées de la demoiselle. Elle ne semblait pas prête à quitter ses bras, lui resterait le temps nécessaire. Lui, il serait toujours là… La tristesse qu’il pouvait lire dans cet océan chamboulé était d’une rare intensité. Il n’avait jamais vu pareille détresse, cette jeune fille devait avoir vécu des choses atroces, il ne ressentait en rien l’envie de la faire parler. Ses souffrances devaient être trop récentes, trop proches d’elle, peut-être même qu’elle gardait une séquelle quelconque sur son corps. Il est toujours plus difficile d’oublier lorsque notre regard trouve des traces dans lesquelles il lit notre malheur. Que lui était-il arrivé ? Le jeune homme ne trouvait pas d’explications ou plutôt il n’en voyait que trop… Il la regarda, laissant son regard couler sur la brunette.
Elle était jolie et rien en elle ne laissait paraitre une blessure, pourtant, son cœur était blessé et dans ces quelques mots, il ne pouvait que remarquer à quel point ce mal était présent. Comme si toute sa vie ne se rattachait qu’à cet évènement, comme si elle n’avait jamais pu trouver la force de surmonter ce qui lui était arrivé. Il faut bien vivre mais la brune ne semblait que survivre. Il ne comprenait pas, comment peut-on se laisser aller à n’exister que par nos problèmes. Ils font parties de nous et non l’inverse. Si nos erreurs ou nos blessure deviennent notre histoire, il devient impossible d’avancer sans chercher d’autre ennuis comme points de repère. Dés que nous avons besoin de nos souffrances pour vivre, il n’y a plus d’être… seulement une enveloppe vide et ravagée… Mais le temps n’était pas aux reproches, il ne connaissait rien d’elle. Ne savait pas ce qui lui était arrivé et ne trouvait aucune raison de lui demander. Cela n’amènerait que plus de souffrances, il ne voulait pas que la douleur s’avive par sa faute, surtout qu’il voyait bien qu’elle était très mal.

- Pourquoi ne veux-tu pas abandonner tes démons ? Quel qu’ils soient ! Si tu t’enferme dans ce passé, il serra impossible pour toi d’en sortir. Même le jour où tu te sentira prête, et ce jour là tu te rendra compte qu’il n’y a plus personne pour t’aider parce que tu auras fermé la porte à ceux qui auront essayé…

Il ne voulait pas la blesser, juste comprendre. Si elle se cloitrait ainsi dans sa vie écoulée, jamais elle ne réaliserait la beauté de l’instant présent, ni l’espoir qui s’étale dans l’avenir. Le canadien lui-même n’y croyait plus, mais il ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle avait toute une vie devant elle. Et surtout, il était sûr que ces malheurs n’étaient pas de sa faute. Lui, se sentait fautif, conscient de ses erreurs, de sa lâcheté face aux problèmes qu’il avait résolut en prenant le mauvais chemin, celui de l’oubli.

Gab n’avait pas relâché la belle jeune fille, elle pleurait toujours dans ses bras. Il se rendit soudain compte que c’était la première fois qu’il tenait une fille ainsi contre lui, sans aucune pensée déplacée. Cette idée le rendit fier de lui, il évoluait, il continuait de progresser dans un monde qui l’avait tant déçu, il se battait et ne comprenait pas pourquoi certains abandonnaient si vite, baissaient les bras sans même essayer… Lydie était un peu comme ça, rongée par ses problèmes, elle ne voyait pas que l’univers continuait à tourner, et que bientôt, le courant des regrets l’éloignerait des berges qui même en étant pas celles du bonheur, ressemblaient étrangement à une torpeur apaisante, neutre… La vie.

Lorsque la demoiselle lui tourna le dos, Gab compris tout de suite qu’elle allait lui faire confiance. Il ne savait pas pourquoi et en fait ça lui était égal. Elle allait lui raconté la raison de son chagrin, des larmes qui coulaient sur ses belles joues alors qu’un sourire aurait du illuminer les lèvres d’une si jolie jeune femme. Il n’avait en aucun cas envie de l’obliger à parler, mais maintenant qu’elle semblait prête à le faire, il ne voulait pas l’arrêter, il voulait entendre, savoir pour comprendre. Il voyait que ces souvenirs la faisaient souffrir, elle avait comme du mal à respirer en lui expliquant son histoire. Il aurait voulut passer ses bras autour de sa taille pour la réconforter mais il était convaincu que s’il la touchait à cet instant, elle ressentirait la main violente de ce Thomas, pas la sienne qui se voulait rassurante. Il la laissa donc parler, vider toutes ses émotions, la difficulté qu’elle éprouvait à en parler fit croire au beau brun qu’il devait être une des seules personnes à avoir entendu ces mots douloureux franchir ses lèvres.

Le beau brun admira ensuite son courage, elle avait eu les tripes de dénoncer ce salaud. Elle avait eu le cran de dire stop et ça, il ne pouvait qu’applaudir à deux mains son courage. Plus elle vidait son esprit ravagé, plus les larmes coulaient, plus il avait envie de la prendre dans ses bras, comme pour la protéger du monde. Elle avait beaucoup trop souffert pour une jeune fille de son âge. Malgré la gravité de ses problèmes personnels, Gabriel ne put qu’être encore une fois rassuré en réalisant que d’autres souffrent encore plus que lui. Elle se tut aussi soudainement que ses paroles étaient sorties un instant plus tôt, la jeune fille s’effondra à genoux, recroquevillée sur elle-même. Il s’approcha d’elle, hésitant encore à faire un geste qui pourrait raviver ces instants horribles de sa vie. Elle avait porté la main à son épaule, comme si elle ressentait encore la douleur de la lame déchirant sa peau, la marquant comme un objet, comme si son corps ne lui appartenait plus…

Il finit par se décidé, il s’accroupit à ses côtés et l’enlaça. Il lui caressa les cheveux, souriant doucement. Il n’était pas effrayé, il ne regrettait pas de savoir, il était heureux d’être avec elle à cet instant.

- Je peux voir ?, murmura-t-il doucement.

D’une main, il dégagea l’épaule de la jeune fille du pull qui la couvrait et suivit la cicatrice du bout des doigts. Le T marquait la chair, elle la garderait toute sa vie pour se souvenir de ces moments violents. Il déposa ses lèvres sur son épaule et embrassa la marque. Comme si ça pouvait tout effacer, comme si par ce seul geste, il pourrait faire disparaitre cette trace liée à sa souffrance. Il recouvrit la peau nue et plongea son regard noisette dans les yeux brouillés de larmes de la brunette.

- Tu sais que tu n’y es pour rien, n’est-ce pas. Il n’avait aucun droit de te marquer de cette façon ! Tu es libre, libre d’oublier tout ce qui t’es arriver… Je sais que tu vas croire que je ne comprends pas… Mais… Tu ne dois jamais croire que quelqu’un a un droit sur ton existence et en t’accrochant à cette histoire, tu le laisse gagner…

Ses mots prononcés doucement ne se voulaient pas seulement rassurants, réconfortant, en les prononçant, il voulait surtout qu’elle comprenne qu’une partie de la douleur, elle se l’infligeait elle-même. Il la serra à nouveau contre lui, leurs visages étaient si proche que leur souffles se mêlaient.

Gabriel sentait la chaleur de la respiration de la brunette dans son cou, elle avait posé sa tête sur son épaule, les larmes semblait ne plus vouloir s’arrêter de couler. Elle tressaillait contre lui, pour la calmer, il se balançait doucement. Le canadien n’aurait jamais cru avoir en lui tant de tendresse, tant de calme et de générosité. Il la berçait lentement, comme si le monde s’était arrêté et que le couple enlacé ne pouvait plus sortir de cette fraction de seconde, comme s’ils étaient coupés de tout autre chose. Le beau brun restait plongé dans ses pensées. La question qu’il se posait était simple. Comment peut-on faire une chose pareille ? Comment peut-on brisé une vie consciemment ? Comment est-ce encore possible, à une époque comme la notre, que des types soient assez cinglé pour infliger ça à des jeunes femmes pleines de vie ?

Il s’assit sur le sol, dos à la botte de paille sur laquelle un instant plus tôt, ils s’étaient assis. La jolie demoiselle semblait perdue, il écarta les jambes, genoux pliés et la garda contre lui. Ses larmes coulaient à présent sur son torse musclé. Gab avait l’impression de manipuler un objet fragile, comme s’il était possible qu’elle se brise en mille morceaux au moindre choc. Cet impacte, il l’avait donné, sans vraiment s’en rendre compte, en lui racontant tout, elle avait ouvert le courant de douleurs. Pourtant, il ne ressentait aucun remord, il l’aidait à sa manière, une méthode brutale, mais efficace. Elle devait faire face à ses problèmes, sans ça, ils la garderaient prisonnière toute sa vie.
Entre deux sanglots, elle parvint à articuler quelques mots désespérés.

- je n’y arrive plus… je…

Il la serra un peu plus fort contre lui, elle ne devait pas abandonner, elle ne pouvait pas le faire. Abandonner signifiait laisser tomber l’espoir qui est la base de la vie. Le beau brun ne connaissait pas ce sentiment qui faisait croire que demain serait un meilleur jour. Il l’avait remplacé par la simple envie de continuer à vivre pour voir si demain ne devenait pas pire qu’aujourd’hui. Si les choses pouvaient rester tel quelle. Il était entrainé par le courant, se laissait porter par une sombre obscurité qui cachait tout, le bonheur comme le malheur. Et lorsqu’on est aveugle face aux souffrances, la vie n’en est que plus belle et merveilleuse, surtout lorsque la joie des autres est, elle aussi masquée. Ne pas voir que les gens qui nous entourent son heureux, ne pas être conscients que les gouffres nous entourent, n’est-ce pas simplement vivre ?

- Tu dois y arriver. Pour que le jour où ces douleurs s’en iront, tu aie encore une raison d’être ici. Ne comprends-tu pas que si tu ne trouve pas la force, tu vas être engloutie par ce souvenir ? Et cette force, elle est en toi, elle t’animait lorsque tu as dit stop, elle était en toi le jour où tu as porté plainte… Et elle est toujours là, mais tu l’empêche de venir, tu l’écarte parce que tu as peur d’oublier…

Il avait plongé son regard noisette dans les yeux magnifiques de la belle brisée. Leur couleur avait disparue sous les larmes, ne laissant qu’un océan de tristesse. Le cœur du canadien se brisa encore une fois, il se haïssait de faire ça, il savait qu’il regretterait mais il posa doucement ses lèvres sur celle de la jeune fille. Toute la tendresse de ses pensées se déversa dans ce baisé. Il s’en voulut, énormément.

La portant dans ses bras, il la déposa sur le lit doré de paille et gardant la tête baissée pour éviter son regard, il murmura d’une voix étranglée quelques mots. Autant pour elle que pour lui-même.

- Je ne suis pas celui que tu attends, je ne suis pas celui qu’il te faut… Je suis désolé… Pardonne-moi…

Il se détourna et d’un pas lent, se dirigea vers l’échelle. Malgré ses regrets, c’était à la brunette de décider si elle avait encore besoin de lui. Si elle le rattrapait, il oublierait ce geste déplacé, mais en aurait-elle envie ? …

- Restes…

Le canadien sentit son cœur se serrer. Ce simple mot murmuré entre deux sanglots, inarticulé d’une voix serrée. Il l’avait lui aussi prononcé juste avant le départ de Danneel, ça n’avait pourtant rien changé. Il ferma les yeux, se concentrant pour revenir au présent, il était dans la grange de l’académie, en compagnie d’une jeune fille effondrée, et il venait de faire une énorme erreur. Tous les mots rassurants qu’il avait dit un instant plus tôt disparaissaient dans ce geste incompréhensible. Il tenta de comprendre, de savoir pourquoi il avait ressenti ce besoin de poser ses lèvres sur celles de la brunette. Simplement parce qu’il était comme ça… Depuis toujours, les filles le remarquait, l’aimait sans le connaitre. Il se rappelait très bien avoir croisé dans les couloirs de son lycée des demoiselles qui lui demandait un baisé, comme ça, alors qu’il ne les connaissait pas. Et, il l’avait toujours fait. Gab adorait la sensation, autant celle de serrer une jeune femme dans ses bras que celle de goûter à sa bouche. Il le savait et pourtant ne faisait jamais rien pour s’empêcher d’embrasser celle qu’il convoitait. Seule Danneel avait pu éviter qu’il n’ait envie d’aller voir ailleurs. A cette époque, il était jeune et on pouvait lui pardonner, aujourd’hui, les choses étaient différentes. Il avait muri et pourtant, cette manie lui revenait, le pire c’est qu’il aimait ça. Mais ce cas-ci était différent, il avait profité du malheur de la jolie brune qui avait été assez dégoutée par les hommes sans qu’en plus il en rajoute !

- Ne cherche jamais à fuir tes problèmes… Ils te rattraperont toujours

Il aima le sourire qui apparut sur ses lèvres douces, alors qu’elle répétait ses propres mots, d’une voix étouffée. Comme si ces mots n’étaient qu’un souffle. Il lui rendit d’un regard profond et résigné son faible sourire.

- Je ne regrette pas du tout ce que je viens de faire… Ce qui m’ennuie c’est que ça ne peut que te rendre plus malheureuse… Je ne veux te faire croire à rien… Je ne suis pas fait pour toi, je suis bien trop… Enfin… Je ne saurais pas te faire oublier ce qui t’es arrivé, je ne te donnerai que plus de raison de haïr l’amour…

Les yeux noisettes étaient emplis de tristesse. Gabriel savait, il était convaincu que ce dont la brunette avait besoin, c’était un amour fidèle, pas une aventure d’un jour… Et une relation sans conséquences, c’est tout ce qu’il pouvait encore offrir. Il aurait aimé être quelqu’un de fiable mais malgré le fait qu’il était toujours sincère, il ne pouvait rien donner d’autre qu’un baisé, une nuit, peut-être… Rien de plus. Il avait douté de lui, croyant ne plus pouvoir agir ainsi mais les automatismes étaient vite revenus. Il aimait beaucoup Kate, elle l’avait compris. S’il la croisait à nouveau, il ne pourrait s’empêcher de vouloir établir la même relation, et il ne s’en priverait pas. Mais la belle demoiselle aux cheveux châtains était tout à fait consentante. Lydie, elle, n’avait put dire un mot et même si elle lui ait rendu son baisé, il ne lui avait rien expliqué. Elle avait sans doute vu en lui le preux chevalier qu’il voudrait être mais qu’il ne deviendrait jamais.

- Tu dois savoir que je ne suis pas le genre de garçon à… s’établir… Tu as déjà trop souffert pour être avec un salaud comme moi… N’attend rien de moi. Je peux rester si tu le veux encore mais tu dois savoir que rien n’assure que je ne recommencerai pas même si la seconde suivante m’offre les même remords qu’à cet instant…

Il se savait presque irrésistible lorsque son cœur parlait pour lui, que ses yeux demandaient silencieusement le pardon. Gabriel ne voulait pas faire de mal à la belle demoiselle et pourtant ce qu’il lui avait dit était vrai, il ne se contrôlait plus… Ou peut-être que justement, son inconscient calculait tout ?

A cet instant, il se détestait. Gabriel ne voyait que le mal qu’il pouvait faire, et chaque geste généreux, chaque parole tendre disparaissaient de son esprit à l’instant même ou survenait la moindre erreur. Tout en lui n’était que contradiction et douleur. Pourquoi ? Simplement parce qu’il ne voulait qu’une chose et que cette chose lui échappait. Il s’était battu pour oublier, pour que disparaisse de son esprit les images de son calvaire, mais rien n’y faisait. Son tempérament ne faisait qu’osciller entre gentil agneau et loup affamé. Un instant il ne voulait rien de vous, l’instant suivant, il vous demandait de tout lui offrir. Trop instable pour être vraiment heureux, trop conscient pour être vraiment malheureux. Vivant sans pour autant vivre pleinement. Avançant dans la vie comme d’autres reculent. Le beau canadien n’était ni un homme de confiance, ni un traitre. Étranger étrange en terrain inconnu, ami solidaire chez lui. Pourtant, il n’avait ni maison, ni famille, tout en étant proche de ses grands-parents. Impossible à cerner, Gab était lui-même perdu, il ne se connaissait plus, il ne se reconnaissait pas. Il était fort mais n’en pouvait plus de lutter.

Il soupira et posa les yeux sur la demoiselle qui lui faisait face et lui tenait les mains. Quand les lui avait-elle prises ? Elle avait aussi séché ses larmes, sans qu’il s’en rende compte. Son esprit était entre deux mondes et les lèvres de la jeune fille remuaient sans qu’il comprenne le sens des mots. Il était trop tard, trop tard pour lui, trop tard pour espérer changer. Il s’arracha à ses pensées pour entendre la fin de la phrase prononcée par la brunette.

- … mais je respecterais ton choix de vouloir garder ça pour toi.
- Hum… Tu sais, je crois que je vais y aller… Je préfère ne pas parler du passé, ne pas penser à l’avenir… Je veux juste vivre l’instant présent.

Il sourit tristement et retira ses mains, il se retourna et s’apprêta à s’éloigner de Lydie. Il s’arrêta et posa ses doigts sur l’épaule de la jeune femme, celle qui portait la cicatrice. Il lui parla d’une voix douce, calme, comme si ses paroles étaient banales et vides de sens.

- Je suis désolé pour ce qui t’es arrivé… Mais je crois que tu es une grande fille et que tu finiras par t’en sortir. Et… Je suis aussi désolé pour ce que je suis… Tu aimerais que je te rende la confiance que tu as en moi, mais c’est au-dessus de mes forces. Mon apparente assurance n’est rien qu’un masque, je ne me confie pas… A personne… et je n’ai pas besoin d’amis…

Non, il n’avait pas besoin de contact de cœur et d’âme, il voulait juste pouvoir serrer les gens dans ses bras, il voulait juste pouvoir aimer sans conséquence et sans remord d’abandonner celle qui l’avait accompagné une nuit, le lendemain et la demoiselle meurtrie qui était devant lui avait déjà bien trop souffert. Gab posa le pied sur le premier échelon qui le ramènerait en bas. Dubay était réveillée et s’était couchée juste sous l’échelle. Une fois sur le sol, la chienne l’accueillit avec effusion et il posa une main sur le poil chaud pour se calmer un peu et reprendre ses esprits. Il leva une dernière fois les yeux vers la mezzanine, se demandant si l’idée de le rappeler avait effleuré l’esprit de la jolie brune.