TEMPTING STYLE ( Nathaniel Wandervort ).

Cela ferait bientôt une semaine que Nathaniel avait intégré l’académie. Bien qu’il ait beaucoup vagabondé dans son sein, il n’avait fait que très peu de rencontres, et pas vraiment concluante. De surcroit, il n’avait pu s’éprendre d’affection pour une monture dès son arrivée, étant donné que peu lui plaisait – pour l’instant. Tempting Style était une nouvelle recrue du centre équestre, acheté depuis peu par les écuries. Ce splendide étalon alezan brûlé d’un mètre soixante-treize avait descendu les marches du magnifique camion Training Helps le matin même, à peine secoué par le long voyage qu’il venait de faire. Selon son ancien propriétaire, le cheval voyageait très bien, étant donné qu’il sortait très régulièrement sur les terrains de concours. Excellents résultats, d’ailleurs.
Nate était impatient de faire la rencontre de ce joli entier, qu’il avait d’ailleurs prit sous son aile. Dès qu’il avait jeté un œil à sa fiche, sur le site internet de TH, Tempting lui avait tapé à l’œil de par son superbe physique, et surtout de par ses origines. Oslo Nait de père et Sun Danse de mère, de l’élevage Syrius. Très bonne génétique, en somme.
Alors qu’il marchait devant les écuries, le temps était des plus maussades. Un ciel gris, indécis, comme hésitant entre la pluie et le brouillard ; une température proche du zéro. Ce n’est donc pas celui qui donnait réellement envie de travailler ! De toute manière, le jeune homme n’avait pas envie de monter sa monture aujourd’hui : Style venait d’arriver, il avait plusieurs heures de routes dans les pieds… Il n’avait prévu qu’un simple pansage aujourd’hui.
Pour l’occasion, il s’était vêtu d’un pantalon d’équitation à pinces brun foncé ; Pikeur, naturellement. Des chaussettes Kingsland protégeaient ses mollets, et il avait rapidement lassé une paire de converses en cuir. Il avait enfilé un polo Joule noir, superposé sous un pull épais et une veste de même marque, brune également. L’équipement parfait du jeune cavalier de compétition qui va sortir son cheval.

Doucement, l’héritier des affaires Wandervort poussa la porte des écuries, laissant s’engouffrer une rafale de vent. Tous les chevaux levèrent la tête à la vue de cet inconnu qui brisait leur douce quiétude, avant de retourner vaquer à leurs moutons. Nate respira lentement l’odeur de foin frais qui enveloppait les boxes : ah, ca faisait longtemps qu’il n’avait plus posé la main sur la croupe d’un cheval ! Il s’avança vers le fond du local, là où les étalons étaient isolés. Pas que Tempting soit très nerveux ; c’était juste une question de protocole. Alors qu’il marchait, son pou s’accéléra. Une sensation commune pour tous les nouveaux acquéreurs de chevaux. Une seule question obnubilait son esprit : avait-il fait le bon choix, en choisissant un simple « origines constatés » comme monture ? De toute manière, il n’avait pas vraiment le choix ; sauf pour les professionnels de Training Helps, les équidés n’avaient pas les papiers nécessaires pour sortir en international.

Le jeune homme ouvrit la porte de son cheval, très lentement, comme pour laisser s’installer le suspense. Un joli entier alezan brûlé pointa les oreilles vers lui, intrigué. Que lui voulait-il ? Nate passa sous la chaine, paume vers l’avant. Tempting tendit l’encolure, posant ses naseaux sur cette main accueillante, respirant l’odeur à plein poumon, avant de s’y désintéressé. Nathaniel la posa sur l’encolure de sa future monture ; joliment musclée, mais présentant encore du travail à fournir. Tant mieux : il n’aimait pas les chevaux trop faciles, où dès l’achat il n’y a plus de pain sur la planche. Avec précaution, il passa sous l’encolure de l’entier afin de détacher sa jolie couverture. On lui avait dit qu’il était sympathique à pied, mais mieux vaut se méfier qu’être obligé de passer des heures à l’hôpital pour un simple coup de pied… Style restait parfaitement immobile, une oreille en avant, l’autre en arrière, comme indécis. Le cavalier retira la couverture d’un geste adroit de la main, qu’il effectuait depuis tant d’année. Sous l’épais tissu se tenaient au repos d’intéressants muscles bombés, gardés en condition avec un entrainement surement dur mais régulier. Il se recula, pour apprécier le tout : un cheval avec de bons aplombs, une fine ganache surement facile à avoir en main, un dos ni court ni long précédant une jolie croupe arquée. Un superbe cheval.

Nathaniel se retira du box, veillant bien à refermer le verrou de la porte, pour aller chercher sa servante dans son casier. Il l'avait, la veille, garnie garnie pour l’occasion : licol, longe, boite de pansage, boite de soin des pieds. Il n’aurait pas besoin de grand-chose pour un simple pansage d’une première rencontre.
De retour au box, il s’empara de son licol en cuir havane Stubben, s’avançant vers Style qui s’était manifestement désintéressé de lui.
- Hé, garçon…
Habitué au son plus ou moins mélodieux de la voix humaine, l’étalon releva la tête. Nate lui passa le licol sans difficultés, notant cependant un petit mouvement de recul au niveau des oreilles.
- Là, doucement.
Une petite séance d’ostéopathe serait à prévoir, afin de commencer dans de bonnes bases.
Il lui flatta l’encolure, puis le sortit du box avec habilité. Comme tout entier qui se respecte, Tempting lança un hennissement très rauque envers ses voisins, les oreilles vacillant vers l’arrière. Le jeune homme le plaça au centre des écuries, et à l’aide de deux longes l’attacha de par et d’autre des boxes.
- Voila.
Il l’observa quelques instants : l’alezan semblait avoir l’habitude d’être ainsi immobilisé, et s’occupait tranquillement à surveiller ses voisins. Parfait. Il se retourna, s’empara d’un cure-pied et se plaça au niveau de son épaule. D’une simple pression sur le muscle au repos, désirant ainsi déplacer le poids de l’entier sur son autre membre, l'équidé donna son sabot avec douceur. Et ainsi de suite pour les quatre pieds. Le jeune homme nota qu’il possédait une sole et une fourchette parfaitement saine, un tantinet trop sèche ; il passerait un coup de graisse plus tard. Surveillant l’attitude de l’alezan, il prit une étrille en ses mains, retirant la fine couche de poussière qui ternissait les poils brillants, s’attardant sur les zones qui lui paraissaient agréables. Style était assez sensible, surtout au niveau du passage de sangle et près du fourreau ; il semblait près à le chasser du postérieur, les oreilles plaquées en arrière.
- Hé, doucement ! s’exclama Nate d’un ton supposé sévère. Il voulait bien que cela ne lui plaise pas, mais pas de mouvements dangereux envers lui. Point.
Notant ces quelques particularités, Nathaniel changea de côté, toujours très attentif aux réactions de l’étalon. Malgré le fait qu’il lui semblait très doux et agréable, un entier peut très facilement changer de comportement pour on ne sait quelles raisons futiles…

Toujours très doux, Nate passa successivement bouchons, brosses plus ou moins douces, tout en restant sur ses gardes, redoutant n’importe quel geste un peu trop envahissant de la part du cheval.
Il se redressa, reculant de quelques pas pour admirer le résultat : la jolie robe resplendissait, les poils étaient chatoyants, signe de bonne santé. La courte crinière se laissait docilement retomber du côté droit de son encolure, parfaitement démêlée. Les sabots brillaient d’une fine couche de graisse noire, tout comme les fers neufs éclataient de netteté. Splendide.
Nathaniel caressa le doux chanfrein de son entier, grattant doucement la base du toupet. Style, d’abord surpris, redressa d’un coup la tête, puis se laissa docilement faire, les yeux mi-clos. Il finit par pousser un long soupir de bienséance, vaincu. Lentement, le bel homme se retira, puis détacha les deux longes ; il aurait bien prolongé cette visite, mais la faim le tenaillait. Il passerait l’après-midi à étudier un programme d’entrainement adapté à l’alezan ; cela lui suffisait à l’enchanter.
- Salut mon beau.
Il laissa tomber quelques rondelles de carottes dans la mangeoire, sourire aux lèvres, puis referma doucement la porte du box. A demain.

Doucement, Nathaniel entrouvrit la porte des écuries, juste assez pour faufiler son buste entre les deux battants. Le temps était effroyablement froid dehors, et il grelottait sous son épaisse veste Pikeur. Malgré les différentes couches de vêtements qu’il avait superposés, il ne pouvait s’empêcher de frissonner. Sale temps ! Il venait d’ailleurs de surcroit de sortir Tempting Style en trotting, autant vous dire que ses extrémités avaient eu le temps de geler… L’étalon s’était assez bien comporté, même si des poussées d’excitation avaient des fois pris le dessus sur son comportement habituellement impeccable. Il n’avait pas hésité à partir en sauts de mouton, tête baissé, puis d’enchainer avec quelques centaines de mètres à fond le train… Sans que notre jeune homme ne puisse gérer la chose.
D’un pas actif, il s’avança vers le box à la porte fermée, l’ouvrant d’un mouvement sec du poignet. Ses mains gantés vinrent chercher le contact avec l’alezan brûlé, comme pour se réfugier des froides bourrasques.
- Je suis de retour mon grand…
Quelque peu étonné de revoir son cavalier alors qu’il l’avait déjà sorti pour la journée, Style pointa ses oreilles en avant, s’interrompant de mâcher sa paille quelques instants. Aujourd’hui, Nathaniel avait prévu une visite de l’ostéopathe afin de prévenir les futures maux que pourraient ressentir sa monture au travail, et pour partir sur de bonnes bases, la conscience tranquille. Ainsi, il ne pourrait attribuer un mouvement de défense un peu trop brusque qu’à l’énervement de l’étalon, et pas à une douleur précise…
Le jeune homme passa avec agilité sous la chaîne du box, paume tendue. Il flatta doucement l’encolure musclée, effleurant les proéminences. Comme perdu dans ses pensées, il dut sursauter après un ébrouement du bel entier pour se reprendre et retirer les fermetures de sa couverture.
- Et bien, mon beau, j’espère que tu vas te tenir correctement… Quelqu’un va te manipuler.
Il n’aimait pas vraiment ce terme, un peu trop brusque, qui pouvait facilement être interprété comme pour quelqu’un qui voulait se servir de vos faiblesses. Cependant, c’est ainsi qu’il fallait s’exprimer, alors soit…
Nate prit son licol en cuir entre ses mains, avant de glisser la muserolle contre le chanfrein légèrement bombé du cheval. Avec une extrême délicatesse, il prit la têtière dans sa main libre, espérant ainsi éviter le même mouvement brusque avec lequel s’était exprimé Style l’avant-veille. Sur ses gardes, ce dernier se tenait tête haute, le blanc des yeux apparant.
- Là… lui murmura le bel homme.
Il s’étonnait de cette réaction, redoutant un problème au niveau des cervicales. De toute façon, il sera fixé…

- Monsieur Wandervort ?
Ah, l’ostéopathe était enfin arrivé. Nate s’avança vers lui, main tendue.
- C’est cela. Enchanté.
- Moi de même… rétorquai l’homme. Il était grand, assez bien bâti. Le physique idéal pour ce genre de métier. C’est donc de… Tempting Style, que je vais m’occuper aujourd’hui ?
- Exactement. Suivez-moi...
D’une démarche assurée, il le guida jusqu’au fond de l’écurie, où le bel alezan brûlé paissait tranquillement.
- Et bien, c’est un bien bel étalon… Je préfère que vous le teniez en longe dans le box, ça vous va ?
- Sans aucun problème.
Nathaniel s’empara de la longe noire, qu’il attacha à l’anneau doré du licol. L’ostéopathe flatta l’encolure de Tempting, qui, intrigué, soufflait fortement des naseaux. L’homme d’âge mur passa sa main sur son dos, palpant la peau, pinçant les muscles.
- Pour l’instant tout semble aller…
Très bien, songea Nate. Enchainez, alors. Le spécialiste, d’une forte pression, appuya deux de ces doigts le long de la colonne vertébrale. Plus très rassuré, l’entier creusa fortement le dos, les oreilles plaquées en arrière. Sans plus de réactions – pour l’instant. L’homme se plaça derrière sa croupe, tout en prenant ses précautions, avant de descendre ses pouces avec force le long des fesses musclées. Réponse amusant : le cheval fit le dos rond, comme un chat. Ca semblait extraordinairement étrange pour quelqu’un qui ne connaissait pas spécialement le monde du cheval, mais c’était tout à fait normal. Certains s’amusaient même à répéter cet exercice tous les jours, espérant ainsi « muscler » leur cheval. Stupide.
- C’est bon, je continue. Vous pouvez le faire marcher dans l’allée centrale ?
Acquissant d’un mouvement de la tête, le jeune damoiseau fit sortir sa monture du box. Cette dernière, retrouvant ses instincts, poussa un long et rauque hennissement envers ses congénères. Comme toujours, il montrait qu’il restait le chef.
D’un geste précis et professionnel, le couple se mouvait dans l’écurie, pratiquement côte à côte. Autant Nate avait présenté ainsi ses montures à la visite vétérinaire précédant les grandes épreuves, autant Tempting Style semblait habitué à cette épreuve de formalité.
- Je ne vois pas de gênes dans l’allure. Faites le trotter, s’il vous plait.
Exécutant la demande, il accéléra l’allure, mettant une assez faible pression dans la longe. Docilement, l’alezan brûlé prit le trot, un peu trop enthousiaste.
- Oh là, doucement ! s’enquit-il.
Alternant allers et retours, il finit par s’immobiliser à côté de l’ostéopathe, à peine essoufflé.
- Qu’en pensez-vous ?
- Je vois une petite gêne dans le basculement de la hanche droite. C’est facile à régler.
De retour dans le box, il prit avec moult précautions le-dit postérieur. Avant de le soulever d’un mouvement brusque en hauteur. Crac. Sans attendre, Style réagit avec une belle ruade, les oreilles vissées sur le crâne.
- Oh là, boy, ca va ! C’est finit, promit Nate.
- Ca devrait être bon, assura l’homme. Refaites-le donc trotter, pour voir.
Un aller-retour dans l’allée, et cela semblait parfait. Plus aucune gêne, des allures impeccables.
- Bien. Passons donc aux cervicales… Vous dites avoir vu une certaine réaction au passage de têtière ?
- C’est exact.
Pendant qu’ils discutaient, le spécialiste tâtait avec plus ou moins de parcimonie la nuque baissée. A un endroit précis, toujours la même réaction de plus en plus violente. Toujours avec plus ou moins de délicatesse, il s’empara du chanfrein qu’il fit pivoter de droite à gauche. Crac. Très impressionnant, comme petit bruit.
- Et voila…
Il fit encore une « révision générale », mais plus rien n’était à constater.
- Merci, s’enquit le jeune homme. Pour le règlement, adressez vous à mes parents. Wandervort, précisa-t-il.
- Ce n’est rien. Merci.
D’une démarche lente et assuré, il quitta les écuries.

- Et voila, boy, c’est finit… murmura Nate tout en démêlant des doigts les crins entremêlés. Je te laisse.
Et il referma la porte du box.